
Compétence
Capacité mécanique d'un personnage à accomplir des actions spécifiques, généralement représentée par une valeur numérique qui détermine la probabilité de succès.
# Définition
La compétence, dans le contexte des jeux de rôle sur table, désigne une capacité mécanique spécifique qu’un personnage peut posséder et utiliser pour accomplir des actions dans le monde fictionnel. Représentée généralement par une valeur numérique (niveau, rang, ou modificateur), la compétence détermine la probabilité de succès ou l’efficacité d’une action lorsqu’elle est testée, généralement par un jet de dés ou une comparaison avec une difficulté. Cette mécanique transforme des capacités abstraites (savoir se battre, négocier, réparer un mécanisme) en données manipulables qui structurent les possibilités d’action d’un personnage et créent des spécialisations distinctes entre les membres d’un groupe.
Dans l’écosystème du jeu de rôle, les compétences occupent une position centrale mais complexe. D’un côté, elles représentent l’un des outils les plus fondamentaux de différenciation entre personnages : un roublard expert en “Crochetage” et un guerrier maîtrisant “Combat à l’épée” offrent des contributions distinctes au groupe, créant une complémentarité qui encourage la coopération. De l’autre, les compétences peuvent devenir des contraintes limitantes si elles sont trop restrictives, empêchant les joueurs d’explorer des actions pour lesquelles leurs personnages n’ont pas investi de points. Cette tension entre spécialisation et flexibilité traverse l’histoire du design de jeux de rôle.
Les nuances de ce concept méritent une attention particulière. Une compétence se distingue d’un attribut (Force, Intelligence, Charisme) qui représente une capacité générale, tandis qu’une compétence représente une application spécifique de ces attributs. Par exemple, “Combat à l’épée” peut dépendre de la Force mais aussi de l’Entraînement, créant une distinction entre potentiel inné et maîtrise acquise. Cette distinction permet aux systèmes de modéliser à la fois les talents naturels et l’apprentissage, offrant des voies de progression variées pour les personnages.
# Caractéristiques Fondamentales
Les compétences remplissent plusieurs fonctions structurelles essentielles dans les systèmes de jeu de rôle. La fonction de différenciation des personnages constitue la plus évidente. Dans un groupe de quatre joueurs, chacun peut investir dans des compétences différentes, créant des profils distincts : un expert en combat, un spécialiste social, un maître de la discrétion, un érudit. Cette différenciation évite la redondance et encourage la coopération, chaque joueur apportant une contribution unique aux défis rencontrés. Un groupe qui doit infiltrer un château bénéficiera du roublard pour les serrures, du barde pour distraire les gardes, du guerrier pour les combats, et du magicien pour les sorts utilitaires.
La fonction de gestion de la progression représente une autre dimension cruciale. Les systèmes de compétences offrent des voies claires d’amélioration : un personnage peut investir des points d’expérience pour augmenter ses compétences, créant un sentiment de croissance et de maîtrise. Cette progression structure l’arc de personnage en offrant des objectifs mécaniques concrets (atteindre le niveau expert en Escalade, maîtriser un nouveau sort) qui s’entremêlent avec les objectifs narratifs (sauver le royaume, découvrir ses origines). La progression des compétences devient ainsi un moteur d’engagement à long terme, particulièrement dans les campagnes qui s’étendent sur de nombreuses parties.
La fonction de création de défis calibrés mérite également attention. Un meneur de jeu peut concevoir des obstacles en connaissant les compétences du groupe : une serrure complexe nécessite un roublard avec Crochetage +8, une négociation délicate demande Diplomatie +6. Cette calibration permet de créer des défis qui sont difficiles mais surmontables, évitant à la fois la frustration (défis impossibles) et l’ennui (défis triviaux). Cependant, cette approche peut également créer une dépendance mécanique où le meneur ajuste constamment les difficultés aux capacités du groupe, risquant de réduire l’adversité authentique.
# Exemples Concrets et Applications
Le système de compétences de Dungeons & Dragons 5e illustre l’approche traditionnelle la plus répandue. Les compétences sont liées aux attributs (Forteresse dépend de la Constitution, Perception dépend de la Sagesse) et peuvent être “maîtrisées” (proficiency), ajoutant un bonus basé sur le niveau du personnage. Un roublard de niveau 5 avec Dextérité 16 et maîtrise en Crochetage aura un modificateur de +7 (3 de Dextérité + 3 de maîtrise + 1 de bonus de compétence de classe). Cette structure crée une progression claire et prévisible, permettant aux joueurs de planifier leurs investissements. Cependant, elle peut également créer des spécialisations rigides où un personnage excelle massivement dans certains domaines tout en étant médiocre dans d’autres.
À l’opposé, le système de compétences de GURPS (Generic Universal RolePlaying System) offre une granularité extrême avec des centaines de compétences spécifiques. Chaque compétence a son propre niveau (de 0 à 20+), son attribut de base, et sa difficulté (Facile, Moyenne, Difficile, Très Difficile). Un personnage peut avoir “Épée courte” à 14, “Épée longue” à 12, et “Épée à deux mains” à 10, créant des différenciations fines qui reflètent un entraînement spécialisé. Cette approche privilégie la simulation et la précision au détriment de la simplicité, créant un système où les choix de compétences deviennent des déclarations d’identité très spécifiques.
Les systèmes narrativistes modernes, comme ceux de la famille Powered by the Apocalypse, adoptent une approche radicalement différente. Au lieu de compétences numériques, les personnages possèdent des “moves” (actions) qui déclenchent des effets narratifs spécifiques. Un “move” comme “Lire une situation dangereuse” dans Apocalypse World ne teste pas une compétence mais génère des informations selon un résultat de dés. Cette approche élimine la distinction entre “avoir la compétence” et “ne pas l’avoir”, remplaçant la spécialisation mécanique par la spécialisation narrative : chaque playbook (type de personnage) offre des moves uniques qui définissent son rôle dans le groupe.
# Origine et Évolution Historique
Le concept de compétence trouve ses racines dans les systèmes d’attributs des wargames dont le jeu de rôle est issu. Chainmail (1971) utilisait déjà des valeurs numériques pour représenter les capacités de combat des unités. Cependant, les premières éditions de Dungeons & Dragons (1974-1977) étaient remarquablement minimalistes : les personnages possédaient des attributs (Force, Intelligence, etc.) mais peu de compétences spécifiques. Les capacités étaient largement déterminées par la classe : un magicien pouvait lancer des sorts, un guerrier se battre efficacement, sans système de compétences détaillé.
L’introduction formelle des compétences survient avec Advanced Dungeons & Dragons (1977-1979) et plus encore avec des systèmes comme RuneQuest (1978) qui intégrait des compétences comme éléments centraux. RuneQuest permettait aux personnages d’améliorer leurs compétences par la pratique, créant un système de progression organique où l’utilisation d’une compétence augmentait ses chances d’amélioration. Cette innovation influença profondément le design ultérieur, établissant le modèle où les compétences sont à la fois des outils de jeu et des voies de progression.
Les années 1980 voient l’émergence de systèmes “skill-based” (basés sur les compétences) comme GURPS (1986) ou le système Basic Role-Playing de Chaosium, où les compétences remplacent largement les classes comme mécanisme de différenciation. Cette approche offrait une flexibilité maximale : un joueur pouvait créer n’importe quel type de personnage en combinant des compétences, sans être contraint par des archétypes prédéfinis. Cette liberté répondait à une demande de personnalisation mais créait également une complexité accrue et un risque de paralysie du choix.
Le mouvement Forge des années 2000 a questionné la nécessité même des compétences dans certains contextes. Des jeux comme Dogs in the Vineyard ou Polaris éliminent les compétences numériques au profit de mécaniques où les capacités sont définies narrativement ou par des ressources dépensables. Cette évolution reflète un déplacement des préoccupations : de la simulation précise des capacités vers la dramatisation efficace des conflits narratifs.
# Débats et Perspectives Critiques
La communauté rôliste entretient des débats substantiels concernant l’optimalité et la philosophie des systèmes de compétences. Un premier débat oppose les systèmes “class-based” (basés sur les classes) aux systèmes “skill-based” (basés sur les compétences). Les partisans des classes arguent qu’elles offrent clarté, identité forte, et facilité d’apprentissage, créant des archétypes reconnaissables qui guident la création de personnage. Les défenseurs des compétences soulignent la flexibilité, la personnalisation, et l’absence de contraintes artificielles, permettant de créer des personnages uniques qui ne rentrent dans aucun moule prédéfini.
Un second débat concerne la granularité optimale. Les systèmes à compétences larges (Combat, Social, Magie) offrent simplicité et flexibilité mais peuvent créer des spécialisations trop générales. Les systèmes à compétences fines (Épée courte, Épée longue, Épée à deux mains) offrent précision et différenciation mais risquent la complexité excessive et la paralysie du choix. La question de la “bonne” granularité n’a pas de réponse universelle mais dépend des objectifs de design et des préférences du groupe.
La question de la progression suscite également des discussions. Les systèmes où les compétences s’améliorent par l’utilisation (comme RuneQuest) créent une progression organique mais peuvent pénaliser les joueurs qui n’utilisent pas certaines compétences. Les systèmes où les compétences s’améliorent par dépense de points d’expérience (comme D&D) offrent contrôle et planification mais peuvent créer une optimisation excessive où les joueurs investissent uniquement dans les compétences “utiles” au détriment de la diversité.
# Variantes et Terminologie
Le vocabulaire francophone utilise principalement “compétence”, tandis que l’anglais privilégie “skill”. “Talent” désigne parfois des compétences spéciales ou des capacités uniques, tandis que “capacité” peut désigner soit une compétence soit une capacité plus générale. “Maîtrise” (proficiency) désigne spécifiquement le fait d’être formé dans une compétence, généralement conférant un bonus.
Les variantes techniques incluent les “compétences de classe” (uniques à certaines classes), les “compétences générales” (accessibles à tous), les “compétences spécialisées” (variantes d’une compétence de base), et les “compétences groupées” (plusieurs compétences liées partageant un même niveau de base). Les systèmes de “compétences ouvertes” permettent aux joueurs de créer leurs propres compétences, tandis que les systèmes de “compétences fermées” limitent les choix à une liste prédéfinie.
# Liens et Références Croisées
Les compétences entretiennent des relations directes avec plusieurs concepts fondamentaux du glossaire. Elles déterminent la réussite des actions lorsqu’elles sont testées par des jets de dés ou des comparaisons de difficulté. Elles participent de la création de personnage, où les joueurs choisissent leurs spécialisations initiales selon les règles du système.
Le concept s’articule avec l’équilibre mécanique : un système de compétences bien conçu garantit que chaque spécialisation offre des contributions équivalentes, évitant que certaines compétences ne deviennent systématiquement supérieures. Il influence également l’agentivité des joueurs : des compétences trop restrictives limitent les options perçues, tandis que des compétences flexibles élargissent les possibilités d’action.
Les compétences participent du contrat social de la table : leur complexité, leur granularité, leur système de progression communiquent des attentes sur le type de jeu pratiqué. Un système à compétences fines et nombreuses indique une préférence pour la simulation et la précision, tandis qu’un système minimaliste suggère une approche narrative plus légère.